La pièce du Serbe Ljubomir Simović écrite en 1985 raconte l’arrivée de quatre comédiens du Théâtre ambulant Chopalovitch dans une bourgade de Serbie, sous l’occupation allemande. Ils souhaitent jouer Les brigands de Schiller à des villageois hostiles : « Faire du théâtre équivaut à collaborer avec l’ennemi ». L’art devrait-il donc s’effacer pendant la barbarie ? N’est-ce pas ce que veulent les barbares ?
La question est très actuelle et sa mise en lumière donne de précieuses réponses au public. Le personnage du comédien Philippe Ternavatz, interprété par Eric Jouvencel, est le plus savoureux. Il confond continuellement le réel et ses rôles : « Il ne mange pas. Il joue qu’il mange. » C’est à travers lui, à travers les phrases de ses rôles livrées à ses interlocuteurs en toute occasion que les intrigues de la pièce se nouent et se dénouent, dans des quiproquos tantôt comiques, tantôt dramatiques. Il rend palpable la force de l’art en tant qu’exutoire du réel par son intrusion dans le réel.
Quant à la jeune comédienne de cette troupe, Sophie Soubovitch, interprétée brillamment par Églantine Jouve, elle parvient à s’émerveiller de tout ce que les habitants, oppressés par l’occupation, ne voient plus : les champs de coquelicots, la beauté de la rivière. Une villageoise s’étonne : « Je ne savais pas que c’était si merveilleux, chez nous. » Par son insouciance, sa joie continuelle, elle révèle aux autres la beauté que leurs tourments leurs masquent. Sa jeunesse exprime une autre forme de résistance au réel. Sa confrontation décisive avec le bourreau du village, personnage cruel et redouté, symbolise l’affrontement de l’art et de la beauté avec la barbarie.
Pierre Barayre, interprète du bourreau, également metteur en scène de cette pièce, mène excellemment cette belle barque brechtienne entrecoupée d’agréables chansons interprétées par Barbara Weldens. Citons également Grégory Nardella, dans le rôle de Vassili Chopalovitch, comme toujours énergique et juste.
Dans ce jouissif théâtre dans le théâtre, il y a un troisième théâtre à l’intérieur des deux autres, moins visible mais que le public peut ressentir, l’osmose de cette généreuse troupe du Théâtre de Pierre, avec qui on se sent d’emblée complice.
Un nécessaire et magnifique spectacle.
Pièce vue au théâtre d’O de Montpellier en mars 2016