À titre provisoire : un titre qui n’attire pas les foules, qui fait craindre le chantier. Le résumé du spectacle n’incite pas plus à s’y rendre.
Heureusement, si la construction est fragmentaire, elle n’est pas brouillonne. Ces fragments nous rappellent qu’on peut seulement effleurer le sujet, le contourner, se contenter de spéculations de vivants apeurés face à un adversaire invisible et muet. On comprend, après coup, la difficulté à attirer des spectateurs pour leur expliquer que nous sommes provisoirement vivants.
Pourtant, le public clairsemé et méfiant est vite sous le charme de ces scénettes brillantes interprétées avec énergie et talent. Puisque tout finira, il faut nous y habituer. Cela commence donc par un entraînement d’anéantissement personnel, séance de thérapie de la vie. Les scènes suivantes rappellent que cesser de vivre est un privilège de vivant. Une comédienne entonne une chanson joyeuse : « Tuez-moi, que je me sente vivante ». Un client réserve un cercueil, si beau, si confortable, qu’il en oublie l’usage. Le groupe s’initiera ensuite à l’extase de la mort. Le comédien-metteur en scène entame une course vers un mur. Va-t-il le traverser ? Sa chute est comique, comme toutes ces questions qui ne peuvent franchir la vie. Ils essayeront ce jeu d’enfants, le jeu de la mort : « Pan, tu es mort. » Il tombe, puis se relève quand on le croit mort. Les au-delà sont-ils la poursuite de ce jeu chez les adultes ?
L’écriture malicieuse et juste de Catherine Monin nous accompagne avec bienveillance dans les profondeurs, que le décor symbolise brillamment. Les comédiens circulent autour d’un grand rectangle noir. Quand son contour s’illumine, il se change en piscine inquiétante en attente des plongeurs. Déguisement ludique du néant.
Les belles ambiances sonores, les magnifiques éclairages, le décor gonflable – de souffle retenu – qui s’oppose à la gravité, la mise en scène toujours surprenante sont en parfaite adéquation avec la qualité du texte.
Entre les scènes collectives, quelques monologues poignants, comme celui sur le « maintenant ». La comédienne-auteur sur le plongeoir témoigne de notre effroi devant l’heure fatale : « Maintenant ? C’est trop tôt, comme maintenant. Je préférerais un autre maintenant. Si j’avais su, j’aurais profité de tous ces maintenant… »
Ils vont au bout des évidences : « votre conscience du temps fait le temps ». Au bout des syllogismes qui meublent l’inconnu : si l’homme n’attendait rien, s’il n’était que contemplatif et satisfait du présent, la mort ne lui ferait pas peur. C’est à cause de sa curiosité, de sa soif de divertissement et de nouveautés qu’il craint le néant.
La thérapie collective s’élargit : c’est celle du public et des artistes heureux d’être réunis dans leur curiosité et leur peur. Dire ses peurs, c’est avoir déjà moins peur. Surtout si c’est bien dit, comme dans cette scène où le passeur répond au voyageur réticent d’accoster l’autre rive : « Seul un poisson péché est entièrement un poisson. »
L’heure dernière, poisson magnifique, scintillant, finira par voler vers nous dans une poésie visuelle qui rend décidément ce spectacle bien trop court, comme la vie.
Applaudissements nourris par soixante-quinze minutes jubilatoires sur la mort. En regardant les fauteuils vides, il nous semble que les absents sont un peu plus morts que nous.
Vu au théâtre des Halles, Avignon, en juillet 2014