Retrouver l’écriture du Norvégien Jon Fosse, c’est retrouver un univers qui laisse la meilleure part au public. Au spectateur de peupler les silences du texte par ses questions ou ses émotions, à lui de puiser dans l’irréalité de son œuvre sa propre consistance.
C’est un cousin Nordique de Daniel Keene, autre auteur économe et tout aussi essentiel.
Ces deux post-beckettiens doivent parier à qui écrira le moins en exprimant le plus.
Dans sa pièce Et jamais nous ne serons séparés, le personnage principal, interprété par Ludmila Mikaël, est une femme dont on comprend vite les fêlures par ses répétitions, ses monologues, ses changements d’humeur. Elle joue alternativement la compagne qui attend et la compagne abandonnée. C’est une accidentée ou une mutilée des sentiments.
L’homme, interprété par Patrick Catalifo, arrive finalement. C’est un homme imaginaire. Il parle mais ne communique pas. Ils sont deux êtres en parallèles, qui ne se rejoignent pas. Il disparaît. L’étroitesse de ce qu’elle imagine de lui la renvoie douloureusement à elle-même. Elle essaye de se raccrocher à ce qu’elle a. Elle n’a que ses objets. Elle se définit comme le lien entre ces objets, et le lien entre ces objets et le monde.
Il revient avec une autre femme. Elle l’imagine avec une autre femme qui le quitterait, qui lui ferait regretter celle qu’il a quitté. Mais peut-être est-ce lui le plus réel, celui qui imagine ces femmes, celle délaissée, celle qui le quitte. Chaque éventualité nous émeut, nous questionne.
La seule certitude de cette pièce, c’est la douleur de la solitude.
Les personnages de Jon Fosse sont des silhouettes, des esquisses, sans passé, sans noms, car ils sont potentiellement chacun de nous, dans un épisode passé, présent ou futur de notre existence.
Un magnifique et intense voyage intérieur mis en scène par Marc Paquien.
Et jamais nous ne serons séparés, de Jon Fosse
Au théâtre de l’œuvre, en septembre 2013