Les versions radiophoniques des pièces nous donnent souvent l’occasion de découvrir des écritures nouvelles. C’est le cas avec la pièce Cantate de guerre, du Québécois Larry Tremblay, encore jamais jouée en France, dont France culture nous a proposé une mise en voix remarquablement réalisée par Juliette Heymann.
Le texte présente un groupe de combattants exerçant leur violence contre une famille ennemie, dans un pays imaginaire, potentiellement tous les théâtres de guerre, à toutes les époques. Il confronte le chef des combattants à un enfant, à qui il essaye de transmettre la haine. Il s’efforce de lui décrire, de lui expliquer de quoi elle est faite. Il la met également en pratique en torturant ses parents devant lui.
La langue des personnages est intemporelle, poétique, parfois belle, quand elle inspire pourtant l’horreur. Les phrases auraient pu être prononcées hier ou il y a trois mille ans. Elles expriment l’éternité de la violence. Il s’agit d’une œuvre vocale (cantate), dans laquelle les autres combattants font office de chœur, et dans laquelle la voix de l’enfant prononce des mots sans phrases. Comme si exprimer en phrases, comme le bourreau, ce qui est ressenti était l’accepter.
La pièce fait entendre que la guerre naît de l’exacerbation de la différence, et que l’autre, tout ce qui fait l’autre, sa religion, sa famille, sa culture, doit être rabaissé afin d’être combattu. Si l’autre était estimé, l’adversaire ne pourrait l’éliminer. La violence vient après la déshumanisation de l’adversaire, communément comparé à un animal ou un insecte. Nous sommes encore témoins, même dans nos pays en paix, de ces propos qui ont provoqué des massacres.
Le chef des combattants, magnifiquement interprété par Thierry Hancisse, finit par confondre l’enfant avec son fils, par exprimer sa perte d’humanité dans la violence : « J’ai tué tout ce que j’aimai », car c’est toujours une part de soi-même qu’on tue en tuant l’autre. Le texte fait brillamment ressentir, sans pourtant le formuler, que la haine des autres fait naître la haine de soi, puisqu’elle n’apporte aucun bienfait.
Ce texte magnifique, dur, mais essentiel, a obtenu le Prix SACD de la dramaturgie francophone 2012. Merci à France culture de nous l’avoir proposé à cette occasion, en attendant, qui sait, une vie au théâtre.
Pour écouter le texte :
http://www.franceculture.fr/emission-l-atelier-fiction-cantate-de-guerre-de-larry-tremblay-2013-03-20
Cantate de guerre, de Larry Tramblay, Lansman Editeur, 2011